Critères de diagnostic chez l’adulte, par le professeur COSNES

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Le diagnostic de maladie coeliaque chez l’adulte revêt une importance majeure, pour deux raisons essentielles. D’une part, il est essentiel de ne pas méconnaître la maladie devant des manifestations digestives ou extra-digestives qui, négligées, pourraient évoluer vers des complications graves, voire difficilement réversibles (par exemple dénutrition, anémie, neuropathie, ostéoporose).

D’autre part, poser le diagnostic chez un patient a des conséquences individuelles très importantes puisque cela implique la suppression totale et définitive du gluten dans l’alimentation. Il est donc nécessaire tout à la fois d’évoquer facilement ce diagnostic devant des symptômes qui ne sont pas forcément typiques et évocateurs, mais aussi recueillir suffisamment d’arguments pour un diagnostic de certitude.

LES MANIFESTATIONS REVELATRICES DE LA MALADIE COELIAQUE CHEZ L’ADULTE

Le tableau ci-après indique les principaux symptômes observés chez les patients coeliaques non diagnostiqués et qui doivent donc chez un sujet donné faire évoquer la possibilité du diagnostic et entreprendre l’enquête appropriée:

Symptômes cliniques Symptômes biologiques
Diarrhée
Ballonnement abdominal douloureux
Douleurs abdominales
Amaigrissement
Fatigue
Tétanie
Douleurs articulaires
Douleurs osseuses
Fractures spontanées
Oedèmes des membres inférieurs
Neuropathie
Eruption cutanée chronique ou récidivante
Ecchymoses, saignements
Glossite
Hippocratisme digital
Anémie
Carence en fer (hypoferritinémie)
Carence en folates (hypofolatémie)
Hypocalcémie
Hypomagnésémie
Hypothrombinémie
Hypoalbuminémie
Stéatorrhée
Hyposplénisme
Hypertransaminasémie
Hyperhomocystéinémie

LES EXAMENS A REALISER POUR ETAYER LE DIAGNOSTIC

Suspecter la possibilité d’une maladie coeliaque doit conduire dans l’ordre à compléter la recherche de symptômes évocateurs (notamment biologiques, colonne de droite du tableau), rechercher la présence dans le sérum d’anticorps spécifiques, et si ceux-ci sont positifs, ou si la suspicion diagnostique est forte malgré la négativité des anticorps (cf infra), réaliser une biopsie duodénale. Celle-ci est effectuée au cours d’une fibroscopie oesogastroduodénale, examen qui consiste à passer par la bouche un endoscope souple puis à pratiquer à l’aide d’une petite pince métallique des prélèvements de muqueuse intestinale (biopsies). C’est un examen non douloureux et rapide, mais désagréable (nausées, gonflement abdominal), qui peut parfois justifier une anesthésie.

LES CONDITIONS NECESSAIRES POUR UN RECUEIL FIABLE DES CRITERES

  • La recherche des symptômes nécessite un interrogatoire spécialisé attentif, un examen clinique complet et une enquête biologique exhaustives.
  • La recherche des anticorps anti-endomysium est très délicate car nécessitant une technique particulière dans la révélation des anticorps et une lecture expérimentée. En pratique, un résultat négatif n’a de valeur que s’il est obtenu dans un laboratoire de référence.
  • Les biopsies duodénales doivent être suffisamment nombreuses et distales (au niveau du genu inferius, ou mieux au niveau du troisième duodénum). Les fragments biopsiques prélevés doivent être bien coupés, bien orientés pour permettre une bonne interprétation de l’architecture villositaire. La lecture des biopsies est fondamentale, et le médecin anatomopathologiste doit non seulement évaluer la hauteur villositaire (en codant l’importance de l’atrophie), mais aussi rechercher et décrire les signes histologiques associés: hypertrophie des cryptes, infiltrat inflammatoire du chorion, altération des entérocytes de surface, augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux (qui doivent être comptés par rapport aux entérocytes).
  • Il faut éliminer quelques circonstances liées au malade pouvant fausser les résultats:
    • La recherche d’anticorps de type IgA peut être négative si le patient est déficitaire dans cette catégorie d’immunoglobulines (or cette carence en IgA est volontiers associée à la maladie coeliaque). Il faut dans ce cas rechercher les anticorps de type IgG.
    • Un régime sans gluten auto-prescrit ou même simplement très pauvre en gluten pendant quelques semaines ou mois, peut négativer les anticorps et/ou diminuer voire même faire disparaître l’atrophie duodénale: les examens pour être fiables doivent être réalisés sous régime normal.

CRITERES DE DIAGNOSTIC CHEZ L’ADULTE
Il faut donc pour un diagnostic de certitude recueillir les critères suivants:

    1. la présence d’au moins un ou plusieurs symptômes digestifs ou extra-digestifs attribuables à la maladie: diarrhée, douleurs abdominales, amaigrissement, anémie, carence en fer, mais aussi manifestations cutanées, ostéo-articulaires (cf tableau)
    2. la signature immunologique: présence d’anticorps anti-endomysium ou anti-transglutaminase
    3. la signature histologique de la maladie coeliaque: à la biopsie duodénale, présence d’une atrophie villositaire totale ou subtotale accompagnée d’une hypertrophie cryptique et d’une infiltration lymphocytaire de l’épithélium de surface.

Pour faire la preuve de la responsabilité du gluten il faut enfin exiger:

  1. une amélioration symptomatique franche dans les trois mois suivant la suppression du gluten de l’alimentation
  2. une amélioration histologique avec repousse villositaire sur la biopsie duodénale de contrôle réalisée après 12 à 18 mois de régime sans gluten.

Lorsque ces 5 critères sont réunis, le diagnostic de maladie coeliaque par intolérance au gluten peut être considéré comme certain.

Lorsque les critères 1, 2 et 3 sont réunis, mais que les symptômes et/ou l’histologie duodénale (critères 4 et 5) ne sont pas améliorés par le régime sans gluten, on parle de maladie coeliaque résistante au régime sans gluten.
L’addition des critères 1, 2 et 3 est indispensable au diagnostic, avec quelques nuances:

  • En cas d’absence du critère 1 (patient asymptomatique, par exemple découverte fortuite d’anticorps faisant pratiquer une biopsie duodénale positive), on parle de maladie coeliaque latente, situation qui n’impose pas forcément la mise sous régime sans gluten.
  • En cas d’absence du critère 2, on peut admettre le diagnostic (maladie coeliaque séronégative), mais de façon provisoire, en attendant que celui-ci soit confirmée par l’effet bénéfique du régime sans gluten (critères 4 et 5).
  • En cas d’absence du critère 3 (atrophie duodénale partielle par exemple), on peut quand même retenir le diagnostic de maladie coeliaque probable, à condition qu’il existe d’autres anomalies histologiques caractéristiques (cryptes, lymphocytes intra-épithéliaux) et après avoir éliminé toutes les autres causes d’atrophie villositaires (parasites, sprue tropicale…etc). L’instauration du régime sans gluten peut être discutée, seules l’évolution et la réponse au régime permettront un classement diagnostique définitif.

Professeur Jacques COSNES
Chef de service
Hépato-Gastroentérologie et Nutrition
Hôpital Rothschild
PARIS